samedi 1 juillet 2017

Tisser un lien serré avec notre existence

Photo de Anne-Françoise Rey.
« Nul ne s’en remet d’une épreuve en la laissant seulement derrière lui. Il s’en remet qu’en gagnant une paix qui demeure rapport à l’épreuve », écrit le philosophe Jean Beaufret dans le tome II du livre « Dialogue avec Heidegger ».

Cette citation m’évoque le travail de silencieux qui a lieu sur le coussin de méditation. Voyons un peu ce qu’elle nous dit.

Beaufret est définitif en disant que nul ne se remet d’une épreuve dont il se détournerait simplement. Cela va à l’encontre des mottos bien connus : « Allons de l’avant ! », « Tournons le dos aux difficultés traversées ! ». D’ailleurs, c’est un geste bien naturel, presque instinctif d’éviter la souffrance et de vouloir se débarrasser, oublier, enfouir, les expériences difficiles.

Mais Beaufret pointe qu’il est illusoire de croire qu’ainsi nous en « remettons ». L’épreuve ne se laissera pas mettre de côté et elle continuera probablement à faire sentir ses effets de souffrances.

Prêtons pourtant attention au « seulement » de cette citation car il y a bien quelque chose à laisser derrière soi si nous ne voulons pas porter en étendard toutes nos expériences de souffrance, nous empêchant ainsi de mener une existence qui embrasse le présent.

Et si Jean Beaufret ouvre une voie de réflexion, c’est avec la suite de sa phrase: « il s’en remet qu’en gagnant une paix qui demeure rapport à l’épreuve ».

D’après son étymologie, le mot paix a le sens de fixer, délimiter, maintenir. Il s’agit de délimiter quelque chose par des bornes afin de consolider une situation dans laquelle une existence est possible. La paix entre deux nations par exemple permet à celles-ci d’échanger, d’avoir des relations fructueuses. De la même manière, quand la paix est la tonalité de la relation entre deux personnes, elle est alors le cadre dans lequel l’une et l’autre personne peuvent être - ensemble - ce qu’elles sont. La paix n’est donc pas un sentiment mais bien plutôt le nom d'un espace où les relations sont possibles.

Selon la citation toujours, cette paix est à gagner, ce qui évoque l’idée d’un combat, de quelque chose qui ne va pas de soi, qui ne s’offre pas de lui-même.

La méditation est pour moi ce lieu où le pratiquant peut toucher cette paix qui est rapport à l’épreuve; car c’est évidemment cette fin de citation qui nous ouvre la perspective, qui taille une brèche vers une résolution, vers une nouvelle appropriation de l’existence.

Il s’agit de s’approcher de l’épreuve dans ce cadre de paix qu’offre la méditation et d’instaurer une relation avec celle-ci, c’est à dire à apprendre à ne plus la rejeter et à la considérer avec bienveillance, la prendre dans ses bras, selon une expression de Fabrice Midal.

En pratiquant la méditation, nous apprenons - entre autres - à entrer en rapport avec toute la chair de notre existence et à tisser un lien serré avec elle. Ainsi, l’épreuve n’est ni mise de côté, ni portée autour du cou. Elle est comme assimilée à l’entièreté de l’existence et elle devient même terreau fertile pour enrichir le présent de l’existence.

Marine Manouvrier
Bruxelles

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