vendredi 30 septembre 2016

Je marche dans la rue

Mon rendez-vous a lieu de l'autre côté de Paris. Je m'imagine déjà dans le métro ligne 8, puis changer à République pour pendre la ligne 5. Le changement est long.

Je presse le pas.

Combien seront-ils à la réunion ? Je ne connais pas le nouveau directeur marketing, comment sera-t-il ? Sympathique, ouvert, difficile ? Vais-je savoir trouver les bons arguments, ai-je bien pris le dernier document qu'ils m'ont envoyé ?

Un bruit de frein de vélo, un coup de klaxon, brouhaha ordinaire…

Soudain je m'aperçois que je ne marche pas mais que je "flotte", l'impression que mes pieds ne touchent même pas le sol, que mes épaules sont suspendues comme un cintre !
JE NE SUIS PAS DU TOUT LA !

Alors gentiment mais délibérément je mets du poids dans mes jambes, dans mes pieds.
Aussitôt je me sens comme soulagée, je suis là, de nouveau, présente à mon corps, présente au monde.
J'entends le chant du merle (à Paris aussi les oiseaux chantent !), je découvre que le ciel est bleu, que l'air est vif.
Je vois les passants que je croise, je m'arrête devant la ravissante petite boutique d'une créatrice de bijoux japonais…
Je respire, je suis là enfin, je suis là de nouveau, présente à la vie et la vie est toujours d'accord pour m'accueillir telle que je suis, exactement telle quelle.
L'esprit de la méditation – cette manière toute simple de revenir au présent pur et ouvert – souffle en moi.
Mon cœur en serait presque brisé tellement il est bon d'être juste là, juste maintenant.
Les visages m'attendrissent, les couleurs me touchent, les feux tricolores me font des clins d'œil ; j'aime ma ville, j'aime ma vie.

Marie-Laurence Cattoire
Paris

jeudi 29 septembre 2016

Compassion et dignité

Quand on est malade, souffrant, on se sent amoindri ; ce dont on a besoin, c’est évidemment d’être efficacement soulagé, mais c’est surtout d’être  restauré dans sa dignité d’être humain.

Dans la Maison qui accueille des personnes en fin de vie et où je travaille comme bénévole, cette notion de dignité est fondamentale. En fin de vie, quand les personnes perdent leurs moyens, qu’elles doivent être assistées pour faire des gestes tout simples comme se laver ou manger, elles ont souvent l’impression de perdre leur dignité. Donc le travail ne consiste pas seulement à faire ce qu’il y a à faire, mais surtout à aider la personne à faire le plus de choses elle-même, même si c’est beaucoup plus long et compliqué.

Dans notre société, la dignité est souvent mise en rapport avec l’autonomie et l’indépendance. Et si tellement de personnes malades ou en fin de vie souhaitent une mort assistée, c’est certainement parce qu’elles ont peur de perdre leur autonomie et le contrôle de leurs gestes et de leur corps,  et donc leur dignité.

Mais la dignité est quelque chose de beaucoup plus profond ; il y a une dignité intrinsèque à tout être humain  qui est indépendante des circonstances. 
Et la compassion, c’est peut-être, avant tout, d’être en rapport à cette profonde et inaltérable dignité de chaque être humain.

Dominique Sauthier
Genève

mercredi 28 septembre 2016

Une minute de silence

Dans une causerie donnée à Genève, quelques jours après  le choc des attentats de Paris en novembre dernier, Fabrice Midal dit: 

D’un certain point de vue méditer c’est faire une minute de silence. On ne fait rien. C'est comme un geste rituel, au sens le plus digne, qui préserve quelque chose de notre propre humanité.


Notre manière de ne rien faire ensemble est particulière par la posture que nous prenons.
Nous devenons intimes avec les deux rythmes qui nous habitent, notre cœur et notre souffle.
La posture nous rapproche de notre cœur, elle nous rappelle à notre cœur.

Physiquement, on peut l’entendre battre.
Et ça va tellement de soi pour nous que nous oublions le travail qu’accomplit ce cœur physique :
ce sont trente-six millions de battements par année, endormi ou éveillé, faisant circuler le sang dans plus de cent mille kilomètres de veines, d’artères et de capillaires et pompant  deux  millions cinq cent trente mille litres de sang chaque année.
Existe-t-il quelque chose d’aussi capable et résistant sur cette terre ?

Merci à ce cœur physique si extraordinaire !

Puis, les mots de Chögyam Trungpa: 
«  Dans la posture de méditation, assis droits mais détendus, notre cœur est à nu. Tout notre être est exposé, en premier lieu à nous-mêmes, mais aussi aux autres. C’est pourquoi lorsque nous nous exerçons à rester assis dans le calme et à suivre notre souffle à mesure qu’il sort et qu’il se dissout, nous établissons un contact avec notre cœur.
En nous laissant tout simplement être tels que nous sommes, nous commençons à éprouver une réelle sympathie envers nous-mêmes. »

Merci à cette posture si extraordinaire transmise d’être humain à être humain depuis deux mille cinq cents ans !

Est-elle la clef pour entrer en amitié avec nous-mêmes ?

Elisabeth Larivière 
Paris

lundi 26 septembre 2016

Rester présente face à la panique

Photo prise lors du séminaire "Pour tout dire, il faut savoir garder le silence"
Soudain j'apprends une nouvelle qui me désarçonne, m'inquiète, me fait perdre pied. 
Je sens la panique, ou plutôt je vois la panique comme une vague qui m'inonde et voudrait m'emporter. 
Sauf qu'elle ne m'emporte pas... Pourquoi ? 
Parce que je réalise mon état en même temps qu'il m'arrive, je reste présente aux drôles de sensations qu'il provoque, aux battements de mon cœur, à mon corps qui tremble. Je respire. Je reste présente. Je mets du poids dans mes jambes, je reviens à mon corps, je porte attention à mes perceptions sensorielles
" Quand tu es angoissé ou submergé, reviens simplement à ta présence corporelle."
écrit Fabrice Midal dans Simplement être là, le cœur grand ouvert.
Je regarde la couleur du temps, j'entends même un chant d'oiseau au milieu du brouhaha urbain et de mon brouhaha interne.

Depuis que je pratique la méditation je ne panique pas moins, je ne suis pas moins surprise par la vie, mais j'arrive à traverser les événements avec davantage de présence d'esprit, ce qui se traduit par davantage d'ouverture et un — petit — peu moins de peur !

Marie-Laurence Cattoire
Paris

vendredi 16 septembre 2016

La Joie d’être triste

Il y des moments dans nos existences qui ressemblent un peu à des traversées du désert; tout semble aride, la vie bien loin, la source tarie. La maladie a touché mes parents, bouleversant leur existence et mettant en évidence combien ils sont fragiles et dépendants.  Même si je me suis préparée au fait qu’un jour mes parents vont mourir, je suis très éprouvée par la réalité de la situation; les petits détails liés au délitement du corps me transpercent comme autant de  flèches : un dentier à nettoyer, la nourriture qu’une main autrefois si habile laisse tomber par terre, le frottement des pieds que les jambes n’ont plus la force de soulever, … Ce désastre me remplit d'une tristesse qui vient s’insinuer dans ma vie, imprégnant  mes journées d’un brouillard d’inquiétude qui effrite mon allant.

Lors de la retraite d’été qu’il dirigeait, Fabrice Midal a instruit une pratique d’amour bienveillant sur la Joie. Dans cette pratique, il a évoqué une croyance  qui peut  nous empêcher d’accéder à la Joie : nous pensons souvent que nous n’avons pas le droit d’être heureux. 
Cette phrase m’a évidemment interpellée et j’ai constaté que oui, dans cette situation,  je ne m’autorisais pas à être heureuse et que la Joie n’était pas vraiment au rendez-vous. 

Mais paradoxalement,  pendant une pratique où j’ai laissé libre cours à ma tristesse, la Joie est apparue.  J’ai ressenti la tristesse comme un mouvement du cœur vivant, et sentir ce cœur vivant m’a fait accéder à une Joie pure et profonde.

Dominique
Sauthier
Genève

Le tout premier stage de l'École pour découvrir et pratiquer l'Amour bienveillant sera donné du 27 septembre au 2 octobre prochains, en Normandie. Ouvert à tous ceux qui ont déjà suivi un stage de Pleine présence. Renseignements ici.

lundi 12 septembre 2016

La désobstruction du cœur

Pendant longtemps la pratique de l’Amour bienveillant me crispait au plus haut point, je la trouvais un brin naïve mais surtout je n’y arrivais pas.
 

Sans doute parce que je désespérais d’arriver à entrer pleinement en rapport avec cette chose dans le creux de ma poitrine, le cœur.
J’avais beau suivre les instructions à la lettre, rien de rien.
 

Puis, un jour, une phrase énoncée pendant la pratique par Fabrice Midal m’a indiqué un chemin.
"Voir qu’il est difficile de se relier à son cœur est déjà une modalité de rapport à son cœur."


Cette phrase m’a détendue, au fond il n’y avait rien à réussir, juste accueillir ce qui est, tel qu’il est.
A partir de ce jour, j’ai pu donner droit à cette modalité-là, mais aussi à d’autres qui sont doucement apparues.
Il me fallait prendre le temps d’apprivoiser ce qui m’est à la fois le plus caché et le plus propre.


Au fond, la désobstruction du cœur était à l’œuvre depuis la première pratique même si je ne le voyais pas.


Marine Manouvrier
Bruxelles


Le tout premier stage de l'École pour découvrir et pratiquer l'Amour bienveillant sera donné du 27 septembre au 2 octobre prochains, en Normandie. Ouvert à tous ceux qui ont déjà suivi un stage de Pleine présence. Renseignements ici.

samedi 10 septembre 2016

Trop de notes – ou la grand-mère ultime

Une anecdote célèbre met en scène Mozart et l'empereur Joseph II, lors de la première de l'opéra L'enlèvement au Sérail créé à Vienne. A l'issue de la représentation, l'empereur mélomane vient féliciter Mozart, mais déconcerté par la brillance de l'oeuvre, il lui déclare que cette dernière contient trop de notes. Ce à quoi le compositeur aurait répondu : « Sire, pas une de trop ! »

Mozart trop de notes – voilà qui laisse rêveur... Je ne peux m'empêcher de rapprocher cet effarant reproche de ceux dont nous parlait Fabrice Midal cet été en retraite. Pour illustrer le manque de bienveillance dont nous sommes tous victimes, il rappela non sans amusement le souvenir de sa grand-mère qui, avec force déclarations d'amour, lui assénait à chaque visite le catalogue de ses défauts et manquements à ses devoirs de petit-fils. 
Qui parmi nous n'a pas été exposé à de telles litanies ? N'avons-nous pas tous une telle grand-mère ?
Dont nous ne sommes d'ailleurs pas forcément le petit-fils ou la petite-fille, ni même lié à elle de quelque manière par le sang. Mais enfin une personne qui, en toute amitié, nous accable de pointes acerbes destinées à nous réformer. Trop de joie – ou de sérieux, et le jour suivant pas assez d'entrain – ou de calme... « Je dis ça pour ton bien, naturellement... »

On pourrait parler en l'occurence d'une sorte de grand-mère ultime, dont le discours au vinaigre de miel dissimule en fin de compte cette aimable vilénie : « Tu serais tellement formidable si tu pouvais juste être un peu moins toi-même... »
Joseph II, ce 16 juillet 1782, fut la grand-mère ultime de Mozart. « Quel musicien vous faites ! Si seulement vous pouviez juste faire un peu moins de notes... » A-t-il du en connaître, Wolfgang, dans sa courte et tumultueuse existence, des avatars de la grand-mère ultime !

Car, vous l'avez sûrement remarqué, elle sait prendre les visages les plus divers et les plus inattendus. A ce point qu'il arrive même parfois qu'on se retrouve l'espace d'un instant la grand-mère ultime de quelqu'un !
Ô combien nous la haïssons profondément : ses constantes tentatives de castration (ou d'infibulation) agacent – tandis que sa mauvaise foi désarme. Et combien nous fascine sa corrosive sollicitude.

Parfois, je me demande comment se relier dharmiquement avec la grand-mère ultime. Possède-t-elle cette bonté fondamentale inhérente à tous les êtres dont parlent les enseignements ? Je crois que oui (bien que les soutras n'en fassent pas mention). C'est peut-être à cela qu'il faudrait se relier d'abord : sous le masque – son humanité recroquevillée.
Et à partir de là, voir ce qu'elle a vu en nous – insupportable pour elle mais si rare. Qu'est-ce qui est touché là exactement ? Deux choses peut-être. La première est notre cœur –  cible immanquable de toutes les attaques. Une pointe, même minime, de la part de quelqu'un pour qui nous avons de l'affection, c'est douloureux.

Mais au-delà – une fois cette pointe accueillie et transmutée par la terre du cœur – si l'on poursuit le regard vers ce que désigne l'index un peu torve de la grand-mère ultime, que distingue-t-on ? Ne met-elle pas le doigt précisément sur ce qui nous anime ? Ce que nous sommes en propre ? Sur la façon dont la vie en nous traversant nous éclaire ?

Pourquoi alors cette lumière doit-elle être dénoncée comme un mauvais rayon ? Pourquoi fait-on la grand-mère ? Quelle peur, quelle peine, quelle incompréhension fait jouer ce ressort ? Et que devient la GMU sur un coussin de méditation ?

Questions bizarres peut-être – à moins d'avoir un faible pour elle.

Mais si nous n'en n'avons pas pour elle – qui en aura ? Certainement pas elle.

Yves Dallavalle
Chapendu

dimanche 4 septembre 2016

Mercy Seat

C’était il y a quelques jours, à Paris.
 
Dans un dernier sursaut avant la rentrée, l’été se rappelait à nous avec force. Le chaud s’était abattu sur la ville ralentissant tout, la respiration, les mouvements, les corps. 

Seuls quelques éclats de voix venaient parfois rompre cette atmosphère pleine et enveloppante.
 
Un matin, accompagnée d’un ami, nous avons installé deux coussins de méditation sur la terrasse de la maison où je séjournais.
Nous nous sommes assis contre un grand mur blanc, juste avant l’heure où la chaleur s’établit en maître de la journée.
Il me semblait être adossée à l’église Saint-Médard tant elle était proche.

Le gong sonne et, dans le silence du petit matin, résonne depuis une fenêtre voisine:

It began when they come took me from my home
And put me in Dead Row,
Of which I am nearly wholly innocent, you know.
And i’ll say it again
I..am..not..afraid..to..die.
...
And the mercy seat is waiting
...


La voix si particulière de Nick Cave déchire ce silence avec Mercy Seat.

Mercy seat, c’est l’histoire d’un condamné à mort et le nom de la chaise électrique.
La métaphore est trop belle que pour ne pas y voir un clin d’œil.
Le rappel de l’impermanence de toutes choses sera le ton de cette pratique.
L’inspire et l’expire s’accordent à la mélopée comme témoins de la brièveté et de la préciosité de la vie humaine.

I..am..not..afraid..to..die.

Je prête une attention particulière à ce fugitif instant qui sépare l’expire et l’inspire et qui me laisse comme en suspend.
Cette brèche est ponctuée, de-ci de-là, par le coup de tonnerre d’un orage sans pluie, comme un rappel de l’éphémère.

Et, alors que la voix de Nick Cave s'éteint, les cloches de Saint-Médard se mettent à emplir l’atmosphère de leur carillons magnifiques.

La pratique a repris ensuite son chemin : une abeille a fait s’élever un peu d’angoisse, les chansons suivantes m’ont fait perdre le fil de la respiration un nombre incalculable de fois, la chaleur est tombée sur nous et la soif s’est fait sentir… respirer, revenir, respirer, revenir …

Pourtant, pendant quelques minutes, le monde s’est fait poème  …

… mais ne l’est-il pas toujours ?

Marine Manouvrier
Bruxelles

jeudi 1 septembre 2016

Se défaire du rapport dualiste aux enseignements reçus

Les enseignements reçus sont le plus souvent considérés comme extérieurs à nous – extérieur à « Moi ». 
A cet égard, nous essayons maladroitement de les imiter.
 
Ce rapport dualiste aux enseignements n’est pas la voie requise par la pratique de la méditation.
En effet, en pratiquant la méditation, nous apprenons à nous identifier aux enseignements, à les incarner et alors nous devenons les enseignements ; on s’oublie soi-même.
 
« Il en est de même lorsque vous voyez un film passionnant et que vous perdez la conscience d’être un spectateur. A ce moment précis, le monde n’existe plus ; tout notre être se résume à cette scène de film. Voilà bien ce dont il s’agit, une complète identification avec l’objet. » 

Si nous considérons la pratique de la méditation et les enseignements qui lui sont attachés comme une connaissance qu’il faudrait amasser, aucune transformation authentique ne pourra opérer. 

Il n’y a rien à croire sur parole, tout est à expérimenter par soi-même ; « ainsi, lorsque l’on reçoit l’enseignement spirituel des mains d’un autre, on ne l’avale pas sans examens, on le brûle, on le martèle, on le bat, jusqu’à ce qu’apparaisse la couleur brillante et digne du métal le plus précieux » 

Les deux citations sont de Chögyam Trungpa, « Pratique de la voie tibétaine. Au-delà du matérialisme spirituel », Editions Du Seuil, Paris, 1976.

Mathieu Brégegère
Paris